vendredi 17 juillet 2020

Gérer les mauvais jets (à répétition)

 
Après avoir échappé aux dangers d'une jungle hostile, le groupe de héros s'apprête à affronter l'horrible monstre qui se cache dans les ruines oubliées. Le guerrier s'élance, haches à la main... et frappe à côté ! Sa compagne brandit son épée à deux mains... et fend l'air sans toucher la bête pourtant gigantesque. C'est au tour de l'archer de... rater sa cible. Voici que le monstre tend ses quatre énormes bras griffus vers les héros malheureux pour les étriper... mais, lui aussi échoue à 4 reprises.
Dans ces moments là, les joueurs sentent que l'on est subitement passé du style héroïque au style comique. Était-ce volontaire ? Non. Les dés ont simplement décidé de tourner les personnages en ridicule, et de rendre grotesque un monstre qui aurait du être terrifiant.
Ce n'est pas la première fois que je remets en cause le rôle des dés dans les jeux de rôle, et ce thème est d'ailleurs largement abordé dans la plupart des manuels de maître. Ce que je vous propose ici, c'est une solution à un soucis que vous partagez peut être à votre table : comment préserver un style héroïque en dépit d'une succession de jets malheureux ?

Avertissement : Cet article est un développement d'un précédent article sur le thème de la modération des jets. Comme vous pourrez le constater à la date du premier article, cette problématique m'intéresse depuis longtemps déjà ;)

Ce qui me motive, dans un jeu de rôle, c'est de voir des actions se résoudre en créant du jeu. 
Il peut être amusant de décrire des échecs inattendus, ces fameux "fumbles" qui font généralement le bonheur des joueurs, mais cela doit rester exceptionnel, sans quoi le jeu devient ridicule. 
"Ah ah ah ! Ton personnage veut sortir sa baguette magique mais tout le contenu de son sac s'éparpille au sol ! C'est pas pire que le guerrier qui a trébuché sur un petit cailloux en chargeant tout à l'heure ! Oh oh oh ! Ou que l'archer qui lui a tiré dessus par erreur..." 

Quant aux échecs "simples" et sans conséquence, ils n'apportent rien à l'action et deviennent vite embarrassants à expliquer. Pourquoi l'archer n'arrive-t-il pas à ajuster son tir sur un monstre aussi énorme ? Voilà déjà trois fois qu'il s'y reprend... Peut être devrait-il songer à changer de profession ? 
Un joueur qui n'arrive à rien pendant une demi heure de jeu et qui ne décroche pas malgré tout est une perle rare. Si vous en avez comme ça dans votre groupe de jeu, vous êtes chanceux. Sinon, c'est que vous avez des joueurs normaux, avec une attente normale : celle de s'amuser.

Ce qui valable pour les héros l'est également pour les menaces qu'ils affrontent. Un monstre qui échoue systématiquement ne restera pas terrifiant bien longtemps. Pour des questions d'ambiance et de cohérence de l'histoire, certains adversaires "doivent" logiquement être en mesure de menacer sérieusement les héros. 

Voici donc quelques solutions pour répondre à ces soucis :

1 - Résolution par la narration : l'échec est l'expression d'une opposition remarquable

C'est là que je vous case mon jeu de mot : "Héros, pas zéros !" Le guerrier échoue à toucher le monstre qu'il affronte parce que ce dernier est d'une vivacité surprenante. En terme de narration, on inverse le point de vue pour rendre hommage à celui à qui l'action profite : ce n'est pas le guerrier qui échoue mais le monstre qui réussit à esquiver une attaque mortelle.
Cela peut aussi s'appliquer aux opposition non actives, comme une serrure à crocheter par exemple : ce n'est pas le roublard qui ne sait plus crocheter une serrure mais cette serrure qui est particulièrement complexe. Le personnage reste valorisé, même dans l'échec.
Cette solution maintient une approche épique dans la narration, sans tourner les protagonistes en ridicule ni donner l'impression qu'"il ne se passe rien". 
Comme pour toutes les ficelles de narrateur, toutefois, si vous en usez trop dans une même scène l'illusion finit par tomber. D'où les autres solutions qui suivent :

2 - Résolution par l'improvisation : l'échec est une réussite partielle ou accompagnée d'une contrepartie

Grand classique dans de nombreux systèmes de jeu, la résolution des échecs sous forme de réussites partielles ou accompagnées de contreparties permet de toujours laisser les actions se résoudre, quels que soient les résultats des dés. 
Dans une réussite partielle l'action aboutit, mais avec moins d'éclat qu'elle ne devrait. Le crochetage de la serrure pend bien plus de temps qu'il n'aurait été nécessaire avec un meilleur jet, ou l'attaque passe mais n'inflige que la moitié des dégâts normaux, par exemple. 
Une réussite avec contrepartie s'accompagne d'un effet indésirable. Le roublard casse son dernier  crochet, ou bien il n'a pas agi assez discrètement et un garde le repère. La guerrier passe effectivement la garde de son adversaire, mais son coup audacieux le laisse sans défense face aux prochaines attaques de ses ennemis.
Cette solution permet de continuellement créer du jeu, en ajoutant de nouveaux éléments narratifs à la partie, mais elle a tout de même une condition de réalisation pas toujours évidente : l'inspiration ! Et même si vous n'en manquez jamais, n'en faites pas trop non plus, sous peine de surcharger le jeu (en particulier les combats, qui sont généralement déjà bien assez long).

3 - Résolution par les règles : l'échec complet n'est possible que dans des cas limités

Les règles peuvent vous servir à maîtriser l'impact des mauvais jets. Pour Donjons et Dragons 5, je propose par exemple la règle suivante, qui s'applique aussi bien aux joueurs qu'au MJ :

Quand vous lancez les dés pour une action où vous ajoutez votre bonus de maîtrise, vous pouvez modifier le résultat du dé par 5 (pour un jet de sauvegarde) ou par 10 (pour les autres jets).

Cette règle s'inspire de la capacité "talent" acquise par le roublard au niveau 11. La capacité a été étendue à tous les types de jets, et pas seulement aux jets de compétence, avec une limitation pour les jets de sauvegarde, de façon à éviter l'écueil d'une "immunité" aux effets trop facile à atteindre.
Pour compenser la perte d'un avantage propre à sa classe, la capacité "talent" du roublard reste présente, mais avec un score assuré de 15 sur les compétences maîtrisées.
Cette solution n'empêche pas tous les échecs, et c'est tant mieux ! Elle empêche uniquement les protagonistes (PJ comme PNJ) de se couvrir de ridicule dans des domaines qu'ils sont sensés "maîtriser". Le guerrier touchera toujours un gobelin mal équipé, et le roublard crochètera toujours les serrures les plus basiques. Cette règle créé également une différence plus nette entre les personnages, selon leurs maîtrises mais aussi leurs scores de caractéristique (parce que le seuil de réussite minimum est plus important ici), ce qui, de mon point de vue, est plutôt positif.


Conclusion

Le solutions ne manquent pas pour préserver une dimension épique aux parties, même quand les dés ont décidé de ne sortir que des résultats calamiteux. L'idée n'est pas de se passer des lancers de dés, qui constituent généralement une bonne part du plaisir dans les jeux de rôle, mais bien d'en garder le meilleur, et de les interpréter toujours dans le sens de l'action et du jeu ! 
J'espère que cet article vous aura intéressé :) Si vous avez des idées sur d'autres thèmes que vous voudriez que j'aborde, contactez moi pour m'en parler ;)

dimanche 18 août 2019

La narration partagée

La narration partagée


Avertissement : cet article est un développement de mon précédent article sur le Conte partagé, posté il y a maintenant 5 ans. La "mise à jour" ne change pas l'esprit de l'article mais donne plus de matière. Cet article a été écrit pour le second numéro du fanzine "Le Guide du Roublard", dédié à l'univers DD5. Attention : c'est un sacré pavé ! Si vous voulez vous faire rapidement une idée générale de ce qui est décrit ici, vous pouvez commencer par l'article original.



Le meilleur conseil qu'il m'ait été donné de lire pour les maîtres de jeu tient en quelques mots :

Toujours dire Oui.


Le principe est simple : il s'agit d'intégrer toutes les propositions des joueurs visant à enrichir à leur façon l'univers de la campagne.

Les conteurs oublient souvent que le monde dans lequel se déroule le jeu ne leur appartient pas. La richesse d'un monde dépend de ceux qui y évoluent : personnages non joueurs interprétés par le maître, mais aussi personnages joueurs. S'il verrouille trop d’aspects de son univers, un maître de jeu se prive de la créativité et de l'imaginaire des joueurs de sa table (quand il ne se bride pas lui-même en suivant à la lettre des règles issues de manuels). Bien sûr, dire oui ne signifie pas tout accepter en l'état, et encore moins sacrifier la cohérence de l'univers aux moindres désirs des joueurs. Le maître de jeu garde son rôle de modérateur et de conteur principal en préservant les éléments scénaristiques importants, et les lois majeures qui régissent l'univers de jeu.

Oui... et...


En tant que conteur, vous pouvez accepter les requêtes des joueurs tout en en contrôlant les implications. Si un joueur annonce qu'il trouve un passage secret là où vous n'en aviez pas prévu, vous pouvez accepter la requête mais décider que ledit passage est protégé par un mécanisme piégé. Le passage peut fort bien n'être qu'un raccourci vers un lieu déjà visité par les joueurs, ce qui ne devrait pas compromettre le déroulement du scénario (et pourrait même accélérer certaines phases de jeu sans grand intérêt par ailleurs), à moins qu'il ne mène plus simplement à un entrepôt abandonné. Rien ne vous oblige à placer un trésor derrière chaque passage secret : ce que les joueurs découvrent, d'autres avant eux ont pu le découvrir, et piller ce qui pouvait l'être.
Si un joueur déclare qu'il trouve une épée magique en fouillant le repère d'un monstre, c'est vous qui définissez les propriétés de l'épée. Une lame maudite ou dotée d'effets potentiellement nuisibles justifierait d'ailleurs d'autant mieux comment elle a conduit son ancien propriétaire à perdre la vie dans l'antre d'un monstre.

Pour les possesseurs du manuel du maître, cette recommandation semblera très proche des règles optionnelles qui y sont proposées pour les points d'intrigue. Comme toujours, et parce que c’est sa fonction après stout, le manuel présente cette idée sous l’aspect des règles. Cet article abordera peu la question des règles. L’objet est ici d’ouvrir à une vision plus libre de la narration et du jeu de rôle en général. Par ailleurs, ce qui est valable pour les jeux de rôle le serait aussi dans la vie de tous les jours : écouter les autres, comprendre leurs attentes et ne pas les nier, laisser à chacun toute la liberté qu’il est possible de lui préserver. Un beau programme non ? Rassurez-vous, on revient tout de suite à Donjons & Dragons 5.

LES RÈGLES DES POINTS D'INTRIGUE SELON LE DMG :
Le manuel du maître propose de donner un ou plusieurs points d'intrigue à chaque joueur. Les joueurs dépensent ces points pour ajouter des éléments au jeu. Le manuel suggère de réguler ces interventions en limitant le nombre de points d'intrigue disponible ou en imposant systématiquement une complication aux propositions des joueurs. Avec cette option, si un joueur annonce qu'il découvre une porte secrète, un autre joueur devra enchaîner en déclarant, par exemple, que le passage est piégé, ou protégé par un gardien. Sans grand rapport avec ce qui précède, le manuel conclut avec une dernière "option" permettant d'utiliser les points d'intrigue pour prendre la place du maître de jeu.
Même si les règles des points d'intrigue sont simples et clairement présentées, le manuel ne donne pas vraiment de conseils pour les jouer efficacement. Il me semble que le rôle du maître de jeu y est trop effacé, voir nié avec la dernière option, et que la façon dont les points d'intrigue sont utilisés peut ralentir considérablement les parties, notamment quand il s'agit de trouver une complication pour chaque intervention.

Joueur : - Je vois quelque chose qui brille intensément au dessus de la pile de pièces d'or !
MD : - Tout à fait. Laisse moi te décrire ça en détail.

Rester aux commandes.


L'intervention des joueurs dans le conte ne doit pas être excessive, sous peine de rapidement rendre le monde confus et plus complexe qu'il ne le devrait. Aussi, même s'il doit accepter les requêtes quand elles sont suffisamment rares, le maître de jeu doit aussi savoir dire non, et refuser les interventions répétées quand elles brisent le rythme de la partie, ou deviennent franchement incohérentes.
Si vous n’êtes pas familier de ce genre de pratique, vous pouvez limiter chacun de vos joueurs à une intervention de ce type par session. Cela vous permettra de voir le type d’idées qui émergeront à votre table de jeu, et de mieux vous y préparer au fil des sessions.
- plus de magique ? « En lançant mon sort de détection de la magie, je remarque une étrange aura sur la sacoche que portait ce gobelin. »
- plus de liens avec les PNJ ? « Plutôt que de demander au premier venu la meilleure auberge de la ville, je vous propose une adresse : l’auberge du Sanglier Rouge ! Mon beau-frère Rodolf l’a rachetée il y a deux ans. Je ne l’ai pas revu depuis mais c’est un chic type, et ma sœur une excellente cuisinière. »
- plus d’action ? « Alors que c’est mon tour de garde, j’entends des bruits dans les fourrés. Je ne sais pas ce qui s’approche du campement, mais je sens que ça ne nous veut pas du bien. »
- plus de spectacle ? « En explosant dans la rue, ma boule de feu ne fait pas que brûler mes ennemis. Les murs des maisons proches ont été touchés, et certains menacent déjà de s’effondrer. »

Comme vous le voyez dans ces exemples, le joueur prend bien garde de laisser le maître de jeu décider de la tournure qu’il donne aux événements. La nature de la magie de la sacoche, le fait que Rodolf soit encore en charge dans l’auberge, le type de créature qui s’approche ou le fait que les murs s’effondrent, tout cela est laissé à l’appréciation du maître de jeu.


Tirer le meilleur des joueurs.


Il y a bien des façons de réagir à des interventions de ce genre. Le plus souvent, un maître de jeu qui n’est pas préparé réagit à minima, ou, pire, refuse tout bonnement l’apport narratif que propose le joueur. La détection de la magie du personnage a mal fonctionné parce qu’il était épuisé par le combat : la sacoche n’est pas magique ! L’auberge du Sanglier Rouge a été vendue l’année dernière et les propriétaires ont changé de ville depuis. La bête qui s’approche n’est qu’un lapin, et pas celui de Sacré Graal. Les murs sont solides et ne risquent pas de s’effondrer avant longtemps. Le jeu reprend alors « sur ses rails » comme si le joueur n’avait rien dit. Devinez si cela procure du plaisir au joueur et lui donne envie de s’impliquer de nouveau !
Même si cela demande un peu de travail d’imagination, il y a bien mieux à tirer des interventions des joueurs. Savoir identifier le besoin de vos joueurs est la clef.
La sacoche est donc magique ? Bien, le joueur attend visiblement d’être surpris, alors surprenez le. Un sac dévoreur pourrait faire l’affaire. Ou un sac à malice ? Ou bien un mélange des deux, qui alterne entre les effets de l’un et de l’autre selon les cycles de la lune ? Pourquoi pas ? Laissez libre court à votre imagination et remplissez le contrat (à savoir : s'amuser ensemble) en faisant de cet objet quelque chose de mémorable.
Un aventurier a des proches dans la ville ? Le joueur a envie de tisser des liens avec les PNJ de votre univers : ne l’en privez pas ! Donnez au couple d’aubergistes une personnalité intéressante et prenez le temps de les interpréter pour en faire des personnages attachants vers qui les personnages prendront plaisir à revenir.
Quelque chose approche du campement ? Le joueur veut de l’action, et cela veut dire qu’il attend un vrai défi ! Un monstre d’un facteur de puissance relevé s’impose. Restez raisonnable pour ne pas que le joueur aie l’impression que vous le punissez pour avoir demandé de l’action, mais ne lui infligez pas non plus un combat insipide et gagné d’avance.
La boule de feu a fragilisé les fondations de plusieurs maisons ? Votre joueur veut du spectacle. Une boule de feu n’est pas juste un nombre de dés 6 qu’on lance avant de tirer des jets de sauvegarde de dextérité. L’un des murs s’effondre dans un grondement qui accompagne les cris des victimes innocentes, la poussière des gravas envahit la zone, et les riverains accourent sur la scène de l’explosion. Au milieu de ce chaos, le combat prend tout de suite une autre tournure.

J'aurais pu développer chacune de ces situations en vous donnant des tonnes de possibilités de développement. Je ne le fais pas parce que le principe de cet article, et d'une bonne improvisation, c'est de laisser libre votre imagination, pas de lui donner des éléments "prêts à jouer" sur lesquels se rabattre. Vous ne pourrez pas créer et être vraiment à l'écoute de vos joueurs si vous avez des solutions de secours toutes prêtes. Le principe n'est pas de prévoir des voies secondaires au cas où les joueurs sortiraient des rails, mais bien de construire un chemin avec vos joueurs. C'est assurément plus difficile que de se reposer sur des listes aléatoires, mais c'est aussi beaucoup plus gratifiant.


Faire face aux principales difficultés.


Nous avons finalement parlé ici des cas les plus simples. Certains vous poseront sans doute plus de difficultés.

La première concerne le besoin de liberté de vos joueurs.
« Nous ne sommes pas intéressés par ces rumeurs de gobelins supposés proliférer dans les montagnes. Allons plutôt visiter les forêts des environs. »
Et voilà tout votre scénario qui part à l’eau ! Vous aviez prévu une escapade dans les montagnes pour éradiquer une bande de gobelins, et voilà que vos joueurs préfèrent une balade en forêt ! Maintenant que les villageois ont parlé des gobelins dans les montagnes, vous n’allez tout de même pas les déplacer dans les bois comme si de rien n’était ! Ce serait trop gros ! Non ? Effectivement, ce serait trop gros, et donnerait immanquablement à vos joueurs l’impression que leurs décisions n’ont aucun impact sur le déroulement de l’aventure. Là encore, identifier le besoin de vos joueurs est la clef. S’ils veulent de la liberté, il faut leur en donner. Ne leur proposez pas une récompense démesurée pour les convaincre de partir à la chasse aux gobelins alors qu’ils y avaient renoncé. Respectez leur choix, et tirez en les conséquences qui s’imposent. Par exemple, la tribu de gobelins épargnée lors de cette session pourra croître au cours de la campagne, et représenter quelques sessions plus tard une telle menace pour la région que vos joueurs ne pourront plus l’ignorer. Une autre solution consiste, tout simplement, à vous demander ce qui, dans votre scénario, est indispensable. Si vous avez vraiment besoin de voir vos joueurs partir chasser ces gobelins dans les montagnes, pourquoi faire comme s’ils avaient le choix ? Faites commencer l’aventure alors qu’ils sont déjà en marche pour les montagnes, et expliquez leur qu’ils ont accepté cette mission quelques jours plus tôt après avoir négocié une récompense raisonnable. Vous ne leur avez pas laissé le choix, tout comme vous ne leur avez pas laissé le choix de jouer dans un univers médiéval fantastique plutôt que dans un univers post apocalyptique moderne, mais au moins vous ne leur avez pas « fait croire » qu’ils avaient le choix. Et vous évitez ainsi la déception compréhensible d’un joueur qui se verrait « replacer sur les rails » malgré lui.

La seconde difficulté peut surgir lors des combats. Les règles de Donjons & Dragons 5 sont tellement orientées sur les combats qu’il semble difficile d’autoriser des interventions de joueurs dans le cadre d’affrontements.
« Mon coup décapite le troll ! Un de moins ! »
Oui, là, c’est sûr, les combats vont être très faciles pour le groupe… A quoi bon lancer les dés si les joueurs peuvent inventer ce qu’ils veulent ? Naturellement, cet exemple est exagéré. D’ailleurs, le joueur n’a pas pris la peine de laisser le maître du jeu résoudre son intervention : ce n’est donc pas une intervention valable. Essayons avec autre chose :
« Mon coup tranche la gorge du troll ! Sa tête va-t-elle tomber ?»
C’est déjà plus libre, et n’a pas d’impact direct sur les règles du combat. Vous avez aussi pu identifier non pas une attente de « grosbilisme », laquelle n’est que rarement valable, mais une envie de spectacle (comme dans l’exemple de la boule de feu citée plus haut). Vous pouvez réagir en décrivant la giclée de sang verdâtre qui jaillit de la blessure, asperge l’armure du personnage, l’aveugle même peut être, tandis que son ennemi titube et porte l’une de ses griffes à son cou le temps que la blessure se referme. A vous de voir si vous prenez cela en compte « techniquement parlant », en imposant par exemple pour un round la condition aveuglé au joueur et en privant pendant ce laps de temps le troll d’une attaque de griffe et de son attaque de morsure.

D’une manière générale, ce sera à vous d’arbitrer sur la façon dont vous voulez que les interventions des joueurs aient un impact sur les « règles » du jeu. Si vos joueurs vous font confiance pour équilibrer les situations, vous pourrez vous autoriser beaucoup de liberté. Par exemple, si un joueur incarnant un ensorceleur de la magie sauvage déclare, sans même lancer les dés « Mon sort déclenche un excès de magie sauvage ! » il vient de contourner les règles, c’est un fait. Et pourtant, pourquoi ne pas l’y autoriser, et vous autoriser de choisir l’effet sur la table ? Ou même ailleurs que sur une table connue ? Le joueur attendait d’être surpris. Il était dans le cas cité plus haut du joueur qui voulait « plus de magie » et avait vu de la magie sur la sacoche d’un gobelin. Pourquoi ne pas le satisfaire en choisissant un effet magique chaotique remarquable, quel qu’il soit ? Certains joueurs apprécieront cette liberté de jeu. D’autres auront du mal à se détacher des règles du manuel. Dans tous les cas, vous devez vous montrer juste et à l’écoute des attentes de vos joueurs.

Joueur : - Nous sommes perdus mais je parle le sylvain et je suis sûr qu'il y a des fées dans cette forêt !
MD : - C'est bien possible, et d'ailleurs elles ne sont pas loin. Initiatives !

Les outils de DD5 : 

Donjons & Dragons 5 incite les joueurs à développer de vrais historiques pour leurs personnages. Qu’ont-ils fait de leur vie avant de devenir aventuriers ? Le sorcier officiait dans un temple de Dénéïr avant de tomber sur une mauvaise lecture qui l’a entraîné sur la voie d’un pacte hasardeux. Le guerrier vivait une vie d’ermite avant d’être forcé à prendre les armes, enrôlé de force dans l’armée du seigneur de la région. Le barde était connu dans son village natal comme un héros local, pour s’être arrogé le mérite d’avoir fait fuir une bande de kobolds. Chacun peut inventer son histoire : cela donne de la couleur aux personnages et en fait bien plus que des archétypes prévisibles. De même les traits, idéaux, liens et défauts affinent le caractère d’un personnage. Si j’en parle ici, c’est que ces éléments sont d’autant plus intéressants qu’ils s’inscrivent dans une logique dynamique ! Rien n'oblige en effet les joueurs à définir tous les éléments de leur passé dès la création de leur personnage. Pendant la campagne, un joueur pourrait ainsi décider de "révéler" des épisodes de son passé. Ceci permet de créer bien plus facilement un lien avec les éléments de l'intrigue. Le beau-frère aubergiste n’a-t-il pas plus de chance d’intervenir dans une partie s’il est créé par le joueur au moment où le groupe entre en ville ? Tout figer lors de la création revient à laisser le maître de jeu imaginer son scénario en fonction des joueurs (« tiens, il a de la famille dans cette ville : je vais les faire passer par là »). C’est envisageable, mais si vous jouez des scénarios où le groupe doit voyager en terres inconnues, les joueurs auront bien du mal à proposer des accroches pertinentes. Dans ce cas, il est préférable de laisser les joueurs créer leurs liens « à la volée » pendant l’aventure. L’historique devrait également être pensé de manière très large, bien au-delà des « aptitudes » d’historique proposées dans le manuel des joueurs. Vous conviendrez par exemple que l’aptitude décrite pour le soldat, celle du grade militaire, n’a aucun sens dès que les joueurs voyagent loin au-delà de leurs frontières. Soyez ouverts à l’idée qu’un mage avec un passé de soldat puisse, par exemple, apprécier toutes sortes de questions militaires. Si le joueur vous déclare « Quand j’étais soldat, j’étais en charge de l’organisation des défenses de la forteresse. Rien qu’à observer la fréquence et le nombre des patrouilles de cette ville, je me fais une idée assez précise des forces militaires présentes ici. » vous pouvez abonder dans son sens en constatant qu’il joue son historique. Ce que cela exige, en revanche, c’est de prendre note que ce personnage était en charge de l’organisation des défenses d’une forteresse, et pas autre chose. Ce qui est dit est dit. Le joueur ne va pas inventer une nouvelle aptitude à chaque session, de même qu’une fois qu’il a dit qu’il avait au moins une sœur, il ne va pas s’inventer un passé d’enfant unique. La liberté, en somme, est totale, dans la limite de ce que la cohérence permet.

Côté Maître de jeu, les manuels proposent des listes aléatoires à n'en plus finir et on pourrait se dire qu'il s'agit là de bons outils pour rebondir quand des joueurs sortent des sentiers battus. Le Dongeon Master's Guide vous permet de créer à la volée à peu prêt n'importe quoi : villes, donjons, objets magiques intelligents, personnages non joueurs ou grands méchants, tout y passe. Ajoutez-y les tables du Xanathar's Guide to Everything et vous aurez même de quoi nommer chaque passant que le groupe se mettrait en tête d'interroger. S'agit-il de bons outils au regard de ce que cet article propose ? Non. Comme je l'ai déjà indiqué plus tôt se baser sur des tables aléatoires ou des solutions pré écrites est en contradiction avec l'esprit de la narration partagée. Comment un Maître de jeu peut-il prétendre écouter ses joueurs s'il dispose de solutions écrites avant même que ses joueurs ne s'expriment ? Prendre en compte l'intervention d'un joueur suppose forcément de construire la réponse après, et non avant, cette intervention. Les listes pourront éventuellement vous aider si vous piochez dedans ce qui se rapproche le plus de l'attente de vos joueurs, mais elles seront loin d'égaler ce que votre imagination sera en mesure de proposer si vous la laissez libre de créer.
Faut-il pour autant jeter les listes aléatoires aux Otyughs ? Pas forcément car l'imagination se nourrit d'exemples et vous gagnerez à survoler telle ou telle liste pour nourrir votre créativité. Le principe est de le faire en dehors des parties, pour vous laisser le temps de recycler les éléments que vous aurez ainsi absorbés. Construire peu à peu son univers créatif ne se fait pas en un jour. Ce qui fera la richesse de votre capacité d'improvisation, c'est le fait de vous être approprié, après les avoir transformés, les différents éléments qui auront nourri votre imagination. Si vous appliquez ce conseil, vous arriverez à surprendre vos joueurs tout en répondant à leurs attentes.

Conclusion 

La narration partagée replace l'écoute mutuelle et l'imagination au centre de vos parties. Vos joueurs apprécieront de prendre une part plus active au déroulement de votre campagne, et vous pourrez vous nourrir de leur créativité. Cette pratique vous apportera beaucoup de liberté et de plaisir en vous libérant des "rails" et des logiques de "quêtes" que bien des scénarios du commerce tiennent souvent pour acquis.
 Voici en résumé mes conseils :
- encouragez vos joueurs à s’impliquer dans la narration ;
- précisez leur bien que vous restez maître du jeu, et qu’ils doivent toujours vous laisser une marge de liberté, à vous aussi, pour résoudre leurs déclarations ;
- demandez-vous ce qu’attend un joueur qui s’implique en créant un événement donné, et faites de votre mieux pour répondre à cette attente (plus de magie ? d’interaction avec les personnages ? d’action ? de spectacle ? de liberté ?) ;
- progressez pas à pas sur cette voie en posant des limites (nombre limité d’intervention par séance et par joueur, pas de modification des règles de combat, etc.) que vous élargirez peu à peu ; - ne proposez que de vrais choix à vos joueurs : soyez prêts à jouer selon ce qu’ils choisissent sans chercher à les « remettre sur les rails » ;
- encouragez vos joueurs à affiner leur historique, liens, idéaux, défauts et qualités au cours de la campagne ;
- amusez-vous et faites en sorte que vos joueurs s’amusent ! (le fun passe devant les règles)

jeudi 31 mai 2018

Aide de jeu pour DD5 - des classes sans magie


La magie est omniprésente dans Donjons et Dragons 5, si bien que même un barbare, un guerrier ou un roublard peuvent apprendre à lancer des sorts en se spécialisant dès le niveau 3, ou même avant si la règle optionnelle des talents et la variante de l'humain sont jouées.
Dans un univers où la magie est extrêmement rare, cela place d'emblée les joueurs dans une position très particulière, en faisant d'eux des êtres exceptionnels, alors que, paradoxalement, la mort d'un personnage de bas niveau tient à très peu de choses.

A bas niveau, DD5 offre peu d'options aux joueurs, dont la survie tient à un fil, mais faire jouer des personnages à plus haut niveau revient systématiquement à leur ouvrir l'accès à la magie. Si l'univers se veut "low fantasy", avec une extrême rareté de la magie, quelques ajustements s'imposent.

En se basant sur le manuel des joueurs et les autres parutions officielles, la liste est actuellement la suivante:


***

Barbare - Voie du berserker (Manuel des joueurs)
Note : curieusement, le barbare n'a disposé d'aucun archétype non magique additionnel dans le cadre des parutions officielles. 

Guerrier - Champion (Manuel des joueurs)
Guerrier - Maître d'armes (Manuel des joueurs)
Guerrier - Chevalier
Guerrier - Éclaireur
Guerrier - Cavalier
Guerrier - Samouraï
Guerrier - Brute
Guerrier - Tireur d'élite

Moine - Technique de la main ouverte (Manuel des joueurs)
Moine - Kensei
Moine - Voie du maître ivre
Note : le Ki est présenté dans les manuels comme une source de magie, mais il ne tient qu'au maître de jeu de décider qu'il n'en est rien dans son univers. Cette notion reste assez bien admise, même dans notre société moderne pourtant très rationnelle. 

Rôdeur sans sort (Unearthed Arcana) - Chasseur (Manuel des joueurs)
Note : cette variante devient magique à partir du niveau 13 uniquement, quand le rôdeur devient capable d'appeler des animaux à son aide.

Roublard - Voleur (Manuel des joueurs)
Roublard - Assassin (Manuel des joueurs)
Roublard - Bretteur
Roublard - Eclaireur
Roublard - Investigateur
Roublard - Mastermind

Le détails des classes citées ci-dessus sont disponibles sur aidedd.


***


Classes mises à part, les talents, s'ils sont joués, peuvent être limités. Les talents qui produisent des effets magiques notables sont Initié à la magie et Lanceur de rituel. les autres talents magiques exigent que le personnage sache déjà lancer des sorts.
L'option des talents peut donc être ouverte en précisant simplement que deux d'entre eux ne sont pas autorisés.


***

Pourquoi jouer sans magie ?

Le but recherché n'est pas toujours de jouer sans magie, mais plutôt de rendre la magie indépendante du bon vouloir des joueurs, et donc moins facile d'accès. Dans la plupart de mes parties où la magie est peu accessible, cela ne signifie pas qu'elle n'existe pas, et j'utilise souvent les objets pour donner accès aux joueurs à tel ou tel type de magie. Un objet doté d'un pouvoir magique pose moins de soucis qu'un sort classique : il peut être à usage limité, avoir des contraintes à l'usage, être maudit, ou peut être égaré ou volé. C'est une variable beaucoup plus facile à gérer qu'un sort connu ad vitam eternam par un sorcier, un druide ou un clerc. A ce sujet, le grimoire d'un magicien, et donc par extension le talent Lanceur de rituel, seraient les premiers éligibles à intégrer une campagne où la magie doit être contrôlable par le maître de jeu.





jeudi 15 juin 2017

Aide de jeu pour DD5 - Magie sauvage

La magie sauvage est un thème récurent dans de nombreux univers fantastiques. Qui dit sauvage dit imprévisible. Qui parle de contrôle parle de risques. Le principe d'une magie qui échappe aux règles établies est tout de même plus séduisant que celui d'une magie limitée à une suite de recettes et de formules figées.

Un jeu comme Donjons et Dragons a même introduit une classe dédiée aux aléas de la magie sauvage : l'entropiste. C'est pour cette classe, et plus particulièrement la 5eme édition de ce jeu, que Johan et moi avons réalisé une table sur mesure dont voici le lien.

Table de magie sauvage

Nous pensons que cette table comble de nombreuses lacunes de la table proposée dans le manuel des joueurs. De ce que nous avons vu sur Internet, elle n'a pas d'équivalent à ce jour, du moins pas dans son esprit, qui consiste à proposer des effets amusants mais toujours jouables.

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mercredi 10 septembre 2014

Conte partagé

Avertissement : les thèmes abordés dans cet article sont développés avec plus de matière dans mon article sur la Narration partagée destiné à une publication dans le second numéro du fanzine "Le Guide du Roublard", dédié à l'univers DD5. Si cet article vous intéresse, n'hésitez pas à lire également ce développement.

Le meilleur conseil qu'il m'ait été donné de lire pour les maîtres de jeu tient en quelques mots :

Toujours dire Oui.

Le principe est simple : il s'agit d'intégrer toutes les propositions des joueurs visant à enrichir à leur façon l'univers de la campagne.

Les conteurs oublient souvent que le monde dans lequel se déroule le jeu ne leur appartient pas. La richesse d'un monde dépend de ceux qui y évoluent : personnages non joueurs interprétés par le maître, mais aussi personnages joueurs. S'il verrouille trop d’aspects de son univers, un maître de jeu se prive de la créativité et de l'imaginaire des joueurs de sa table (quand il ne se bride pas lui même en suivant à la lettre des règles issues de manuels).

Bien sûr, dire oui ne signifie pas tout accepter en l'état, et encore moins sacrifier la cohérence de l'univers aux moindres désirs des joueurs. Le maître de jeu garde son rôle de modérateur et de conteur principal en préservant les éléments scénaristiques importants, et les lois majeures qui régissent l'univers de jeu.

Oui... et...


En tant que conteur, vous pouvez accepter les requêtes des joueurs tout en en contrôlant les implications. Si un joueur annonce qu'il trouve un passage secret là où vous n'en aviez pas prévu, vous pouvez accepter la requête mais décider que ledit passage est protégé par un mécanisme piégé. Le passage peut fort bien n'être qu'un raccourci vers un lieu déjà visité par les joueurs, ce qui ne devrait pas compromettre le déroulement du scénario (et pourrait même accélérer certaines phases de jeu sans grand intérêt par ailleurs), à moins qu'il ne mène plus simplement à un entrepôt abandonné. Rien ne vous oblige à placer un trésor derrière chaque passage secret : ce que les joueurs découvrent, d'autres avant eux ont pu le découvrir, et piller ce qui pouvait l'être.
Si un joueur déclare qu'il trouve une épée magique en fouillant le repère d'un monstre, c'est vous qui définissez les propriétés de l'épée. Une lame maudite ou dotée d'effets potentiellement nuisibles justifierait d'ailleurs d'autant mieux comment elle a conduit son ancien propriétaire à perdre la vie dans l'antre d'un monstre.

L'intervention des joueurs dans le conte ne doit pas être excessive, sous peine de rapidement rendre le monde confus et plus complexe qu'il ne devrait. Aussi, même s'il doit accepter les requêtes quand elles sont suffisamment rares, le maître de jeu doit aussi savoir dire non, et refuser les interventions répétées quand elles brisent le rythme de la partie, ou deviennent franchement incohérentes.

Des personnages riches et complexes :


Les joueurs peuvent également fournir du matériel au maître de jeu en travaillant sérieusement à leur background, c'est à dire à leur passé, et notamment leurs connaissances. Il existe de nombreux systèmes de jeu de rôles qui vont dans ce sens, en obligeant les joueurs à lier leurs personnages à d'autres personnages non joueurs (famille, mentor, rival, supérieur, etc.) ou à une organisation (clan, guilde, faction, etc.).
Un objectif personnel (idéal, motivation, quête), ou un événement lié au passé du personnage et que ce dernier préfère tenir secret (parce qu'il a commis une faute ayant eu de lourdes conséquences, ou parce que révéler ce secret pourrait nuire à autrui) sont d'autres éléments qui peuvent fournir au maître de jeu de bonnes pistes de scénarios.

Rien n'oblige les joueurs à définir tous les éléments de leur passé dès la création de leur personnage. Pendant la campagne, un joueur pourrait décider de "révéler" des épisodes de son passé, permettant ainsi d'établir une relation particulière avec des éléments de l'intrigue.

Illustration : Jason Chan

vendredi 5 septembre 2014

Modération des jets

Avertissement : Cet article a été étoffé dans une version mise à jour que vous pourrez trouver sous le nom Gérer les mauvais jets


Si vous jouez avec un système impliquant des jets de dés fréquents, vous avez été ou serez probablement un jour confronté à des séries de jets catastrophiques allant parfois jusqu'à démoraliser un joueur. On peut même considérer comme incohérentes certaines situations : imaginez par exemple qu'un chevalier se porte au secours de marchands attaqués par des brigands. Si le chevalier n'arrive pas à placer un seul coup d'épée et que ce sont les marchands qui mettent en déroute les brigands, on a tout de même tous les éléments pour suggérer au héros de prendre sa retraite anticipée, et pas vraiment de quoi l'inciter à entreprendre l'exploration du donjon le plus proche.

Les dés sont là pour ajouter un peu d'aléa et de piment aux parties. Ils servent aussi à modéliser l'incertitude propres à certaines situations complexes. Mais ils ne doivent pas aller contre la cohérence de l'univers. Certes, tirer une longue série de 1 sur un dé à 20 faces est peu fréquent (de mémoire, notre record en partie s'établit à quatre 1 à la suite), mais ce à quoi cela correspond en terme de jeu a encore moins de chances de se produire. Ou plutôt, cela signifie forcément quelque chose (notre chevalier doit être maudit... à moins que cela ne soit ce plat un peu trop copieux qu'il a eu le malheur d'engloutir la veille à l'auberge de la Bonne Tambouille Bien Grasse ?).

Des joueurs de bonne composition peuvent jouer de ces échecs et tourner la situation en dérision, mais bien vite, jouer un guerrier qui n'arrive pas à se battre, un éclaireur qui n'est jamais discret ou un magicien qui n'arrive jamais à lancer le moindre sort transformera la partie en calvaire.

Les idées qui suivent s'appliquent particulièrement bien aux jets de compétences, notamment lorsqu'ils utilisent toujours le même type de dé. Ces variantes n'ont pas vocation à remplacer tous les types de jet.


Choix d'une moyenne basse garantie :


Une solution simple à la question des échecs à répétition consiste à autoriser les joueurs à obtenir la moyenne basse sur leur jet plutôt que de lancer les dés. Cette option est utilisée depuis longtemps dans les systèmes d20 : un personnage qui n'est pas en situation de stress est généralement autorisé à "faire 10"  dans le cadre d'une action donnée, sans avoir à lancer les dés. Cette option peut très bien être étendue aux situations de stress, comme les combats, ou même à d'autres types de jets, comme les dés de dégâts. Le fait d'utiliser la moyenne basse rend le choix intéressant pour le joueur, notamment pour les dégâts : assurer un minimum de dégâts ou laisser les probabilités, a priori en sa faveur, parler ? Cette variante ne retire rien au côté incertain des situations vraiment difficiles, pour lesquelles une valeur basse est insuffisante à obtenir un succès.


Réussite avec complication :


Une autre solution se rapproche de l'esprit de systèmes de réussites variables comme on en trouve développés dans Shadowrun ou Rolemaster, par exemples. Quand les dés s'obstinent à traduire en échec une action qui en toute logique devrait réussir, on peut considérer que l'action aboutit effectivement, mais avec une complication. Le moine a bien réussi à porter son coup de pied sauté sur son adversaire, mais il se retrouve maintenant à terre, ou bien il s'est lui même brisé quelques os au moment de l'impact (il faut mieux maîtriser sa force, voyons !). Un "échec" a ainsi des répercutions significatives, mais il n'empêche pas le joueur de réaliser son action. Pour jouer cette variante, le Maître de jeu doit être en mesure de définir quelle action devrait être réussie quel que soit le jet, en considérant les attributs du personnage. Se baser sur la moyenne basse est peut être l'approche la plus simple. D'ailleurs, les deux variantes peuvent être combinées : le joueur choisit s'il utilise sa moyenne basse ou pas, et s'il ne l'utilise pas, lance les dés et obtient un échec, on lui garantit la moyenne basse, avec une complication si cela suffit à réussir son action.


Jeu de cartes :


Cette variante, que j'ai découverte en lisant les règles du système Épique 6, équilibre largement les jets et consiste à jouer avec un jeu de cartes en lieu et place des dés. Chaque carte représente l'un des résultats possible sur le dé utilisé pour les jets de compétences. Les cartes déjà tirées ne sont réutilisées qu'une fois le paquet épuisé, ou qu'une carte spéciale (une figure) est tirée. Dans les deux cas, le paquet est remélangé pour constituer une nouvelle pioche. La figure permet de préserver un certain niveau d'incertitude, même après plusieurs tirages.
Si vous voulez simuler un jet de dé 20, vous pouvez utiliser un jeu de 52 cartes et retirer toutes les figures à l'exception d'une seule (qui indique que le paquet doit être remélangé). La valeur des cartes est égale à la valeur affichée, en ajoutant 10 pour les cartes rouges. Ainsi, un 4 de carreaux correspond à un 14, et un 9 de pique à un 9.

Lieux de rencontre


L'environnement dans lequel se déroule une rencontre est souvent négligé. Voici quelques conseils pour rendre plus vivantes, et sans doute plus mémorables, vos rencontres.


Exploiter les possibilités de l'univers :


Si vous jouez dans un univers fantastique ou futuriste, n'hésitez pas à utiliser à votre avantage les propriétés extraordinaires de votre monde. Ce n'est pas en étant trop réaliste que l'on rend compte d'un univers dépassant les limites de notre monde réel. Si la magie est omniprésente, pourquoi ne pas imaginer un lieu où la gravité serait légèrement modifiée, avec les petites pierres flottants à hauteur de chevilles par exemple, à côté d'un temple dédié à l'une des divinités marquantes de votre monde. Pour décrire ce temple, laissez libre court à votre imagination et faites en plutôt trop que pas assez. La statue de la divinité pourrait faire une quinzaine de mètres, avec un joyaux incrusté au niveau de son front (peut être à l'origine de la magie, ou bien verrerie sans valeur ?), et sembler s'animer en réaction au combat tandis que les colonnes s'effondreraient progressivement tant que de l'animosité serait perçu dans les environs. Encore une fois, les possibilités sont infinies, peuvent et même doivent dépasser le simple cadre du quotidien. Du moins, dans les mondes qui s'y prêtent. Si je vous encourage à en faire plutôt trop que pas assez quand vous utilisez cette technique, cela ne signifie pas qu'il faille le faire systématiquement. Si toutes vos rencontres ont quelque chose de grandiose, vous finirez invariablement par lasser les joueurs au lieu de les surprendre. 

Valoriser l'environnement :


Un environnement bien pensé permet de briser la monotonie d'un combat. Le cinéma d'action, et plus spécifiquement de cape et d'épée, a vite fait de cet adage une règle incontournable. L'un des combats qui m'a le plus marqué en tant que joueur s'est résumé à saisir un gros bagage au dessus du carrosse où je voyageais pour le projeter sur le crâne d'un assaillant en contrebas. Un combat résolu en cinq minutes, sans sortir mon arme, mais qui n'aurait pas pu se dérouler ailleurs. Mon exemple est sans doute simpliste, mais il illustre bien que les joueurs se souviennent souvent d'un combat parce qu'il s'y est passé quelque chose d'original, ou du moins, de nouveau. Les créatures fantastiques sont certes nombreuses, mais un environnement particulier se retient tout aussi bien sinon mieux.

L'usage de l'environnement par les joueurs (renverser une table pour se protéger des projectiles, détruire une poutre soutenant une mezzanine, bousculer un adversaire au  bas d'un escalier, projeter du sable dans les yeux d'un combattant, etc.) est rarement bien documenté dans la plupart des système de règles. Souvent, les règles détaillent sur des dizaines de pages les mécanismes de combat traditionnel sans s'attarder une seconde sur des manœuvres plus originales. Le maître de jeu doit donc souvent improviser une règle sur mesure. Un bon conseil pour encourager les joueurs à utiliser l'environnement est de considérer qu'une action cinématographique ne doit pas être pénalisée en termes de règles. En tant que maître de jeu, passez outre les règles compliquées de vos manuels et assurez vous simplement que le joueur n'aurait pas pu obtenir un meilleur résultat en prenant moins de risques s'il avait simplement utilisé son épée pour frapper.

Pensez également à utiliser des environnements qui peuvent être eux mêmes dangereux : précipices, falaises, escaliers interminables, pièges mécaniques ou magiques, éléments déchaînes (tempête, avalanche, tremblement de terre, etc.), etc. Le fait de jouer sur les hauteurs est l'un des points les plus évidents.
Utiliser les types de terrains (submergés, instables, etc.) ne doit pas se limiter à appliquer des règles de déplacement tactique (des règles souvent compliquées, et qui supposent souvent un quadrillage pour être exploitées), mais doit permettre une mise en scène intéressante. Par exemple, un tunnel en partie inondé peut être infesté de créatures aquatiques, cacher des pièges, ou menacer de noyade un personnage assommé au cours du combat.

Déplacer la rencontre :


Dans un jeu de rôles, l'espace n'est limité que par l'imagination des joueurs. L'usage d'un plateau quadrillé pour représenter une scène de combat fait qu'on oublie souvent cette évidence. Les combats semblent alors figés à un seul espace restreint, se bornant même parfois à une succession de lancers de dés entre des protagonistes engagés dans un corps à corps quasi immobile.
Pourtant, un combat "qui se déplace" est beaucoup plus intéressant. Je conseille de se passer d'un quadrillage, ou bien de prévoir très large, en laissant de la marge pour improviser au delà de l'espace initial. Notez enfin qu'il existe également des supports modulables, s'assemblant assez librement à la façon d'un puzzle. Je pense notamment à la série Descent. (Edge). Ces tuiles ont l'avantage d'être illustrées, et contribuent mieux à l'ambiance qu'un quadrillage vierge. Leur modularité est un plus quand il s'agit d'improviser, mais pour les lieux extérieurs vous manquerez probablement d'espace et de possibilités.

A titre d'exemple parmi les grands classiques, à l'occasion d'une rixe dans une auberge, envoyez l'un des protagoniste valser à travers une fenêtre. Le protagoniste en question pourrait tenter de fuir, menacer la vie des passants ou alerter la garde, selon sa nature. Toujours dans la même scène, les combats pourraient se poursuivre à l'étage, dans les chambres occupées par des voyageurs ainsi tirés de leur sommeil,ou surpris dans le cadre de leurs activités. Quant à l'indispensable cave, lieu commun qu'un nombre incalculable de jeux de rôle s'obstine à remplir de rats sanguinaires, le combat peut s'y poursuivre si un mage y trouve refuge le temps d'invoquer ses sortilèges à l'abris des coups. Une cave possède de nombreux éléments intéressants dans le cadre d'une rencontre : barriques de vin qu'il s'agit de ne pas détruire malencontreusement, sacs contenant des réserves qu'il ne faut pas saccager, etc.

Illustration : Derk Venneman